Difficile de parler d’un jeu comme Life is Strange sans spoiler, cette chronique est donc destinée avant tout à ceux ayant terminé le jeu narratif de DONTNOD. Les autres, vous pouvez passer votre chemin pour le moment, ou alors, lisez uniquement les deux paragraphes suivants.
Mon sentiment vis-à-vis de Life is Strange reste assez mitigé. Excepté le premier acte, prologue de l’œuvre et mise en bouche, j’ai souvent trouvé les épisodes trop longs. A mon sens, le format épisodique apparait trop envahissant, où il faut absolument faire un bon début et une bonne fin (avec twist de malade si possible) pour captiver l’attention, tout en proposant du contenu – le milieu des épisodes – où finalement il ne se passe pas grand-chose, si ce n’est des situations parfois redondantes, et des dialogues à rallonge. Etant familier avec cette structure « série américaine », reprise ici de manière particulièrement grossière, j’ai trouvé le rythme assez poussif dans l’ensemble. Par exemple, la première scène dans le Diner de Joyce est interminable ! Tout comme les quelques passages dans les dortoirs… C’est d’autant plus dommage que certains moments, vraiment intimistes et émouvants, se montrent très réussis. Malheureusement, ils donnent l’impression d’être un peu perdus au milieu du sensationnel lié aux introductions/conclusions d’épisode, et de la routine qui nourrit le corps narratif.
Life is Strange, c’est l’histoire de Max, étudiante en art, passionnée par la photo et notamment les selfies, qui va se retrouver avec la possibilité de remonter le temps, à chaque fois sur une période assez courte. Ainsi elle peut arranger des situations et des dialogues à sa guise, et le joueur, qui l’incarne, peut dérouler toute sorte de possibilités, et faire le choix qui lui convient. Attention cependant, il n’y a pas de « bon » choix. Ils auront tous leurs bonnes et mauvaises conséquences, mais il n’existe pas de réponse parfaite pour régler une situation. Ce qui est bizarre à mon sens, et un peu forcé de la part des auteurs. C’est en partie pour cela que j’ai eu du mal à m’intéresser vraiment aux personnages (et pourtant j’aime l’art, la photographie et l’état d’esprit zen/cool qui se dégage du jeu) : on me « forçait » à prendre telle ou telle décision, même si elles ne me correspondaient pas. D’autant plus que la situation pouvait être résolue de plein d’autres manières, surtout avec ce pouvoir de voyage dans le temps. Bref, les mécanismes de gameplay ne sont finalement pas si bien adaptés à cet exercice narratif des plus linéaires et contraignants, et c’est bien regrettable !
Spoilers à partir de maintenant.
A la fin de l’épisode 3, Max parvient à remonter le temps de plusieurs années et tente de réparer les aléas de la vie de sa meilleure amie d’enfance, Chloé. Elle y parvient, mais de retour au présent, elle déguste violemment l’effet papillon de la modification du passé. Le père de Chloé, décédé dans la précédente timeline, est désormais vivant, mais Chloé, avant en bonne santé, apparait à Max en fauteuil roulant. Rideau.
L’épisode 4 démarre donc sur un entretien entre Max, catastrophée par son acte, et Chloé, physiquement au plus mal. Un moment très émouvant, éprouvant aussi car on rencontre les parents, croulant aussi bien sous un chagrin suffocant, que sous les dettes des factures de soin. Franchement, et c’est le père en moi qui parle, ce moment est juste horrible, et m’a rendu profondément triste. Le sentiment de culpabilité de Max est palpable à chaque mot, chaque minute qu’elle passe en la compagnie de son ami paralysée, et mourante. Le paroxysme de la situation arrive alors bien vite, avec une nouvelle fois un choix binaire : mettre fin aux jours de Chloé, sans avertir ses parents, ou la laisser en vie ? A mon avis, c’est le point d’orgue de Life is Strange, suite auquel le jeu aurait pu aller au bout des choses. Mais non, Max revient finalement en arrière, et remet les choses comme elles étaient dans l’autre timeline. Retour à la normale donc, une des scènes les plus intenses du jeu n’aura finalement servi à rien. Quelle déception ! Pourquoi cette scène si poignante alors, si ce n’est seulement pour choquer le joueur avant de passer à autre chose ? A partir de là, plus aucune surprise, et ce jusqu’à la fin, final qui replace d’ailleurs le joueur face au même choix que celui ci-dessus : laisser vivre Chloé ou non. Maladroit, même si on peut y trouver une explication comme nous allons le voir dans la prochaine partie de l’article.
Voilà le plus gros reproche que je ferais à Life is Strange, soit le fait de ne pas avoir assumé l’excellente idée, même si douloureuse, du début de l’épisode 4. Il y avait sans doute d’autres pistes scénaristiques à explorer que le simple retour arrière, quitte à perdre, effectivement, l’un des personnages principaux, aussi attachant soit-il.
Fini les déceptions, nous allons maintenant aborder le jeu sous un angle un peu plus analytique que critique.
Le passage à l’âge adulte (Analyse)
De mon point de vue, et comme annoncé par le titre de cet article, Life is Strange présente en réalité une métaphore du passage à l’âge adulte.
Max a terminé le lycée, et entre donc en école supérieure. Son adolescence, son enfance, la vie avec ses parents, tout ça est désormais derrière elle. Elle devient adulte, et doit assumer ses propres choix, ses relations, ses convictions, sa personnalité. Il n’y a plus papa ou maman derrière elle, et son excuse de l’adolescence rebelle, ou de petite fille innocente qui fait des bêtises, est terminée, Max doit faire face à ses responsabilités. Le pouvoir de remonter le temps, et donc de changer ses choix, apparait alors comme un moyen plus doux de basculer dans ce monde bien moins drôle que celui des gamineries. Seul bémol au pouvoir : les décisions deviennent irréversibles lors de checkpoints réguliers. De fait, Max fait ses choix de manière posée, et prend son temps à bien les réfléchir, là où quelqu’un qui n’a pas cet avantage extraordinaire, peut prendre des décisions sur l’énervement, le stress ou un coup de tête.
Ainsi, Max va peser le pour et le contre à chaque fois, et toujours de son point de vue. Elle va discuter avec tout le monde, faire face à toutes les psychologies d’autrui (stéréotypées pour le jeu) et réagir de la « meilleure » manière. Soit pour faire plaisir, soit pour se venger, ou agacer, etc. Elle façonne son monde, qui devient évidemment le monde commun à tous. Il s’agit là d’une sorte d’exercice appliqué à la réalité, comme lorsqu’on essaie d’imaginer dans notre esprit les possibilités et réactions diverses des autres avant dire ou d’agir. Sauf que dans Life is Strange, on voit vraiment les conséquences à court terme, avant de revenir en arrière, ou non, créant ainsi de multiples traces dans la destinée de chacun.
La tornade qui menace de ravager la ville pourrait d’ailleurs représenter la complexité de l’esprit et des relations humaines. Un tourbillon d’idées, de peurs, de chemins possibles, de réactions diverses, de tristesse accablante, de joie explosive ou encore de personnalités extrêmes. Max capte un aperçu de ce que peuvent faire les mots ou les actions, elle comprend ce que c’est que d’assumer un choix, qu’une vie peut être détruite sur une mauvaise action (la tentative de suicide de Kate suite à une vidéo filmée à son insu) ou au contraire sauvée grâce à un peu de réconfort (le câlin que Max peut faire à Kate à la toute fin du jeu, avant que la suite des évènements ne dégénère). Encore une fois, l’effet papillon de chaque attention, même de chaque mot, semble complètement hors de contrôle. Un geste anodin peut changer radicalement la vie d’un tiers. Non pas que Max adolescente ne comprenait pas cela, mais elle n’en avait peut-être pas saisi toute la portée, la maturité. De fait, la conclusion de Life is Strange nous impose un choix difficile : soit la destruction de la ville et donc de beaucoup d’inconnus ou de simples connaissances, soit la disparition de la personne la plus importante aux yeux de Max : Chloé.
Chose étrange, en sacrifiant Chloé, la tornade disparait. La fille aux cheveux bleus est l’autre personnage essentiel de cette histoire. Elle représente le lien vers l’enfance de Max. Sa meilleure amie, qui a perdu son père alors qu’elles étaient au plus proche. Un évènement tragique qui a marqué profondément les deux vies. Et face au décès, il est parfois difficile de bien faire. Surtout pour Max, qui n’a pas vraiment su apporter du réconfort à son amie, d’autant plus qu’elle déménagea avec ses parents peu de temps après le drame. Partie cinq années, sans donner ni prendre de nouvelles, Max n’a jamais recontacté Chloé. Et la voici qui revient dans sa ville d’enfance pour étudier, comme si elle revenait refermer cette porte vers l’enfance, laissée ouverte depuis bien trop longtemps.
Pourtant, Chloé se fait tuer dès les premiers instants du jeu. Suite à cela, et au fameux papillon bleu (à l’image des cheveux de son amie) présent dans la scène, Max change le cours des choses, et réapprend ensuite à connaitre son amie d’enfance. De cette manière, elle peut sereinement refermer cette porte de l’esprit. D’ailleurs, nous l’avons vu, le jeu nous place par deux fois devant le choix de mettre un terme à l’existence de Chloé, comme si cet acte était nécessaire, comme si le processus de deuil était nécessaire, le deuil de l’enfance.
Une réponse à “Life is Strange – le passage à l’âge adulte”
[…] californien à son origine, et repris par d’autres créateurs à leur sauce, comme par exemple Life is Strange. The Walking Dead, saison deux, est alors apparu au milieu de ces multiples jeux/clones du genre. […]