La notion de choix se présente comme un atout inégalable pour le média du jeu vidéo. Si la littérature s’y est déjà essayée au travers des prenants Livres dont vous êtes le héros, et le cinéma au détriment de quelques courts métrages douteux, aucun de ces supports n’a vraiment su convaincre son lecteur ou son spectateur de la pertinence ou de l’implication de ses choix. En revanche, les jeux vidéo intègrent de plus en plus, et de mieux en mieux, de déchirants dilemmes, des choix moraux d’importance, ou même des orientations qui bouleversent les mécanismes inhérents au gameplay. Voici donc un petit tour d’horizon de l’intégration de l’idée du choix dans les différents jeux.
Le concept de décision existe depuis longtemps dans le monde vidéoludique. Les RPG occidentaux, entres autres, nous mettent face à différents choix, souvent assez manichéens, c’est-à-dire embrasser d’un côté la formule du Bien, ou de l’autre celle du Mal. Quelques titres se sont heureusement essayés à aller un peu plus loin, proposant dès lors plusieurs manières de résoudre un problème. Certaines restent toujours orientées Bien ou Mal, mais plusieurs autres nuances apparaissent, jouant ainsi sur un potentiel butin en guise de récompense, ou la possibilité d’user d’une quelconque diplomatie pour apaiser le contexte. Dans tous les cas, le moule s’est adapté, dans lequel s’est engouffré joyeusement tout un genre depuis des (dizaines d’) d’années. Fallout, Planescape Torment, Dragon Age, Mass Effect, Skyrim, Wasteland, etc. Les exemples demeurent nombreux. Malheureusement, quelques tendances ont profité de ce système universel pour mettre en place des modifications de gameplay face aux différentes orientations possibles. Gentil ou Méchant, cela influe directement sur les pouvoirs disponibles, et donc la puissance de notre héros. Star Wars : Knights of the Old Repulic, et son côté clair ou obscur de la force, évidemment, ne favorise pas vraiment l’interrogation à chaque dilemme. En effet, sans spécialisation le gameplay ne prend pas d’ampleur, et il reste alors difficile de faire face à l’adversité. Le choix de partir sur un personnage bienveillant ou cruel se décide alors en tout début de partie, et chaque décision sera prise en fonction de ce premier pas, même si le joueur ne le désire pas vraiment selon la situation en cours de jeu. De fait, nous constatons ici un obstacle à la bonne intégration de cette notion de choix, nécessitant de surveiller l’impact réel sur le gameplay avant de proposer de telles décisions. Celles-ci s’avèrent en réalité de fausses décisions. Elles ne sont pas prises en fonction du joueur, mais de la personnalité de l’avatar qu’il incarne. Pour le côté roleplay, cela fonctionne, mais en ce qui concerne la véritable prise de position, par celui qui interagit derrière sa manette ou son clavier, le mécanisme devient ainsi caduc.
Autre entrave au bon déroulement d’une prise de décision, la sauvegarde. Quoi de plus simple que de sauvegarder une partie avant de faire un choix ? La croisée des chemins s’offre à vous, un passage à gauche, un autre à droite. Vous enregistrez votre progression, avant de vous engouffrer à droite. Là, un piège met à mal votre personnage, lui infligeant un montant non négligeable de dégâts. Rechargement de la partie. Vous prenez désormais à gauche, par un chemin beaucoup plus calme. Typique, mais décevant pour le game designer. Cependant, cela s’avère être un peu de sa faute d’avoir laissé la possibilité au joueur de sauvegarder avant de faire son choix. C’est ici qu’un jeu comme XCOM : Ennemy Unknown et son mode Homme de Fer prend tout son intérêt. Un jeu stratégique, donc conduit par les choix du stratège, lui-même accompagné d’une poignée d’évènements aléatoires, qui prend toute sa saveur dans ce mode de jeu interdisant toute sauvegarde manuelle. La conservation des données s’effectue alors de manière automatique, et chacune des initiatives prises ne permet pas le retour arrière. Le degré d’implication du joueur se voit décuplé de manière éclatante, où chacune de ses décisions stratégiques devient lourde de sens pour son QG, ses troupes ou ses cruciales recherches scientifiques. La sauvegarde automatique se révèle ainsi indispensable pour garantir l’authenticité du choix proposé au joueur. Demon’s Souls, ainsi que Dark Souls 1 et 2 apparaissent également comme de bons candidats pour évoquer ce principe. Même si les trois titres ne proposent pas vraiment de choix moraux récurrents, certaines décisions, de vie ou de mort sur un PNJ par exemple, s’avèrent terriblement impactantes, et sans jamais pouvoir revenir sur sa décision. Sauf en relançant une nouvelle partie, sacrifiant ainsi de nombreuses heures de jeu sur l’autel d’une mauvaise décision. Intégrer une sauvegarde automatique dans un jeu vidéo s’avère en effet à double tranchant, car il ne faut pas non plus bloquer le joueur sur une simple erreur de jugement. Il faut par contre qu’il puisse apprendre de ses erreurs, qui le pénalisent de plus en plus au fil des maladresses, en mettant en avant diverses alternatives pour lui faire surmonter ces obstacles. Il n’existe pas de Game Over dans les Souls, par exemple, forçant de fait le joueur à trouver des options pour dominer les conséquences de ses mauvaises décisions. Le cas XCOM est plus délicat, car une mauvaise gestion stratégique amène forcément au Game Over, mais sur le long terme, à force d’accumuler les plans douteux. Un joueur qui se remet en question pourra vaincre le mode Homme de Fer, et le retour sur son expérience en deviendra immensément plus intense qu’un autre joueur ayant parcouru le jeu normalement, au grès de ses sauvegardes et de ses rechargements de partie.
Enfin, un choix difficile le devient encore plus lorsqu’il est proposé sur un timing serré. The Walking Dead en tête, évidemment, et ses décisions insensées à prendre en quelques secondes. Le récit devient alors très fort, et le joueur, complètement impliqué. Le succès du point & click de Telltale en est la preuve, cela fonctionne ! Nous retrouvons dans le même style les productions du studio Quantic Dream, et tout le monde se souvient de cette scène atroce d’Heavy Rain où l’un des personnages est forcé à s’auto-mutiler, sous le tic-tac tonitruant d’un compte à rebours mortel. Chaque mouvement déclenché par les mains du joueur, chaque décision apparait alors comme une atrocité commise sur ce personnage certes virtuel, mais innocent et en terrible souffrance.
Sans le timing cette fois-ci, The Banner Saga propose aussi des choix cornéliens. Vous êtes chef de clan Viking, votre population et vous-même êtes amenés à parcourir les froides régions du Nord. Vous êtes à pied, les denrées se font rares, le moral est au plus bas, et de nombreux évènements conduisent à prendre des dispositions difficiles. Une famille de paysans, affamée et sans protection, réclame votre aide devant les centaines de regards de vos gens. Allez-vous les accueillir, quitte à puiser davantage dans les caisses de nourriture et d’affaiblir vos guerriers ? Ou bien allez-vous les laisser, dans le froid et la guerre, sous l’œil inquisiteur de vos camarades ? L’acte, dans tous les cas, est très difficile. Ce genre de situation se compte par dizaines, et la responsabilité de tout un peuple n’aura jamais été aussi intense. Chacun des choix donne accès à des avantages ou des pénalités, mais il reste impossible de savoir à l’avance ce qu’il va se passer. Cette famille de paysans se révèle en réalité bien sournoise, et dérobe des victuailles avant de s’enfuir dans la nuit. Résultat : mauvaise décision. Mais impossible de le deviner si vous les aviez laissés mourir de faim sur le bord de la route. C’est là toute la subtilité de la bonne écriture de ces choix, il ne faut pas que ceux-ci soient évidents au premier regard. Faster Than Light également propose quelques décisions franchement pas flagrantes, surtout en fin de partie où chaque erreur se paye très cher. Dans ces cas-là l’expérience du joueur fait foi, accompagnée d’une bonne dose de bon sens, le tout sous-poudré d’un peu de chance. Ce mélange accueille ainsi les bons choix, et emmène enfin le décisionnaire vers la conclusion du jeu, bien méritée.
Pour résumer, intégrer des choix dans un jeu vidéo n’est finalement pas si simple et demande une véritable réflexion de la part des game designers. En effet, il reste très facile de casser l’impact du choix, en proposant une sauvegarde rapide juste avant par exemple, ou en orientant drastiquement la difficulté du jeu. Le dilemme doit être subtil, dans ses propositions, mais également au niveau de l’intégration dans le contexte. Il faut aussi que l’on ne puisse pas facilement revenir en arrière. Dans Final Fantasy VI, la décision d’attendre Shadow à la fin de la première partie se déroule après un combat ardu que personne ne souhaiterait recommencer « juste pour voir ce qu’il se passerait si ». La solution de facilité qui consiste à s’enfuir en hâte déclenche la perte d’un excellent personnage. En revanche, attendre jusqu’à la dernière minute provoque un véritable stress chez le joueur, voire un Game Over s’il n’est pas assez réactif sur les derniers instants. Nous retrouvons encore ici une notion de timing, phénomène très intéressant dans la prise de décision vu qu’il immerge totalement le joueur dans son acte, irréfléchi s’il n’a que quelques secondes, assumé s’il dispose de plus de temps. Les tableaux récapitulatifs disponibles en fin de chaque chapitre de The Walking Dead offre un panorama dramatique sur lequel chaque joueur peut échanger, partager, expliquant ainsi ses choix et son ressenti sur le moment, potentiellement différent pour chacun.
L’importance du choix dans le jeu vidéo, c’est de proposer au joueur une façon d’être, mais aussi de lui faire se poser des questions, peut-être même sur sa propre vie. Qu’aurait-il fait dans cette situation ? Il peut ainsi suivre ses convictions naturelles, ou modeler sa personnalité virtuelle, son avatar, afin d’expérimenter d’autres horizons, plus obscurs, plus violents, ou plus originaux comme s’approprier la casquette d’un fin stratège ou du chef d’un clan scandinave au bord de la famine. Rien de cela n’est vrai, tout est virtuel et, hormis quelques heures perdues, aucune incidence n’est à prévoir dans le monde réel. Néanmoins, après avoir parcouru ces jeux ponctués de choix, le joueur s’est vu enrichi de nouvelles expériences, s’est défoulé dans la peau d’un Sith cathartique dans Star Wars, ou a sauvé pour la cinquantième fois une lointaine galaxie. Tout est une question de rôles, de choix, et, enfin, de décisions.
2 réponses à “L’importance du choix au coeur du jeu vidéo”
[…] repose sur la notion de choix. De fait, le titre abordé aujourd’hui vient s’ajouter à l’article sur le choix que j’avais précédemment […]
Merci Sylvain pour ton analyse, je trouve effectivement que cette notion de choix est essentielle dans le jeu vidéo, pour vivre une expérience de jeu unique en esquissant un personnage avec ses traits de caractères propres. Car en réalité le joueur a toujours une idée très précise de ce qu’est son personnage, et il est donc crucial que son environnement ainsi que les ressorts scénaristiques soient suffisamment travaillés pour lui permettre de le révéler pleinement.
A tester également pour les amateurs de choix : Alpha Protocol.