Le Deuxième Acte – analyse

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Comme chaque film de Quentin Dupieux, Le Deuxième Acte « ne va pas plaire à tous le monde ». Derrière sa franche austérité – qui s’explique, on y reviendra – et les banalités brandies tout au long du film – qui s’expliquent, on y reviendra aussi – c’est tout à fait compréhensible de rester dubitatif face à cette proposition. En ce qui me concerne, et malgré tout cela, j’ai trouvé Le Deuxième Acte vraiment réussi, avec une profondeur intéressante, qui passe forcément par l’austérité et la banalité qu’il met en scène.

Attention : la suite du texte va largement spoiler les évènements et les thématiques du films !

À mon sens, Le Deuxième Acte est brillant dans sa construction et dans le message qu’il veut transmettre au public, en l’occurrence nous qui regardons le film. J’y ai en tout cas vu une sorte de subtile forme méta, non pas comme une explosion net et surprenante du quatrième mur – celui qui sépare l’œuvre du spectateur – mais comme si cette barrière s’érodait lentement durant la projection. En fait on pourrait voir ça comme un dézoom très lent, depuis l’œuvre de fiction vers la réalité. Explications.

Prenons le pitch du film : « Florence veut présenter David, l’homme dont elle est follement amoureuse, à son père Guillaume. Mais David n’est pas attiré par Florence et souhaite s’en débarrasser en la jetant dans les bras de son ami Willy. Les quatre personnages se retrouvent dans un restaurant au milieu de nulle part. »

C’est juste nul quand même quand on lit ça. Mais bon, ça tombe bien car ça n’a absolument rien à voir avec ce que propose Le Deuxième Acte, si ce n’est les premières minutes.

Le fameux restaurant, ça fait rêver

Le plan séquence du début montre le duo d’acteurs Louis Garrel et Raphaël Quenard. Tous deux discutent de banalités, de la future rencontre au restaurant. C’est en lien avec le pitch, ok, mais quelques débordements « improvisés » de Quenard, repris illico par Garrel, nous font hausser le sourcil. Étrange, c’est le premier dézoom.

Second dézoom, plus fort cette fois, lors de la scène suivante, un nouveau plan séquence en miroir du précédent, avec l’autre moitié du quatuor du film, c’est -à-dire Léa Seydoux et Vincent Lindon. Idem, banalités. Puis ils sortent carrément du cadre narratif du film, du pitch, où chaque acteur déborde sans accroc de son personnage. Perturbant, joué avec beaucoup d’autodérision, c’est assez drôle mais aussi gênant, la longueur audacieuse du plan séquence n’aidant pas ! En général les gens agacés quittent le cinéma durant cette scène. Dommage pour eux.

On dézoome encore, avec la longue scène du restaurant qui suit, où les quatre personnages / acteurs se retrouvent, qui au passage marque à peu près la moitié du film. C’est la partie comique du Deuxième Acte, avec ce « figurant » (magnifique Manuel Guillot) qui joue le serveur et qui nous renvoie toutes et tous à nos plus grands moments de stress et de solitude. Pendant que le « figurant » essaie de « jouer son rôle », les membres du quatuor sortent totalement de leur personnage, débattent de leur carrière, de leurs convictions, s’énervant, se moquant. Un sonore n’importe quoi – toujours drôle et malaisant – qui se conclue sur le suicide du « figurant ».

On rigole de suite beaucoup moins, puis on dézoome une nouvelle fois, et d’un bon cran ce coup-ci. Tout n’était que « cinéma » jusque-là. Le suicide était faux, toutes les scènes précédentes étaient en réalité issues d’un scénario écrit par… une IA ! Cliffhanger, la production entière du film est gérée par une IA. Marrant, inattendu. Voilà une autre thématique du film qui explique d’ailleurs bon nombre de ses éléments jusque-là intrigants ou dérangeants, notamment l’esthétique générale absolument repoussante. Il suffit de voir les habits des personnages : les doudounes d’un autre monde ou le combo pull / jogging camaïeu de gris porté par Léa Seydoux, égérie Louis Vuitton quand même ! Au-delà des vêtement, l’image est terne, fade, il fait mauvais temps (et ça ne semble pas forcément entacher les promenades des personnages ni même être prévu ou cohérent avec le scénario), les décors sont quelconques, bref rien ne va du côté visuel de cette production « made in IA ». À vrai dire je soupçonne presque Quentin Dupieux d’avoir réellement utilisé une IA pour façonner son film, ou du moins l’ébauche, histoire d’être dans une forme de méta-idée la plus aboutie possible.

Doudoune et pull gris – The movie

Bref, revenons en plutôt à notre analyse de départ, au dézoom. Après ce cliffhanger le film continue avec deux nouveaux interminables plans séquences, où l’on suit cette fois les quatre acteurs (en duo chaque fois) et non les quatre personnages de départ. Personnalités différentes, fringues toujours un peu déroutantes, et on garde tout de même une forme de banalité au cœur des dialogues. Lors de la scène entre Léa Seydoux et Louis Garrel, ce dernier parle toutefois de sa notion de réalité et fiction, comme quoi la fiction serait réalité, et inversement. Bon, la chute de son histoire c’est juste qu’il désire coucher avec l’actrice, mais son discours alambiqué colle totalement avec le propos du Deuxième Acte, preuve qu’à ce stade, c’est à dire quasiment à la fin du film, on se situe presque au dézoom maximum.

Reste la scène finale, où l’on voit Manuel Guillot, l’acteur du « figurant » rejouer la même scène du suicide, pistolet dans la bouche. Générique de fin.

À ce moment là, je n’avais pas réalisé qu’un dernier dézoom avait encore opéré. En effet, sensation très (très) étrange, lorsque je suis sorti du cinéma et commencé à parler du film avec mon acolyte, marchant dans cette rue pentue du centre ville de Montpellier, je me suis senti filmé. Sensation d’un plan séquence où l’on est en train de se raconter des banalités, à ce moment sur le film et plus tard sur d’autres sujets. J’ai eu plusieurs fois cette sensation au cours de cette soirée post-Le Deuxième Acte, et je trouve ça vraiment fou. Nous étions la suite du film, sans doute mal fringués, sans doute pas très intéressants, et je crois même qu’il ne faisait pas très beau dehors ! Voilà le quatrième mur brisé, totalement détruit même, et ce avec beaucoup de subtilités. Je ne sais pas si c’est l’intention première du réalisateur, mais alors en terme d’émotions je n’avais encore jamais ressenti ça en sortant d’un cinéma (ni en sortant de quoi que ce soit d’ailleurs).

Quand on y repense, et c’est la raison pour laquelle j’écris cet article aujourd’hui, il y avait quand même beaucoup d’éléments placés dans Le Deuxième Acte pour que cette « intention » transparaisse et se réalise. Le méli-mélo général entre personnages et acteurs (dont les noms dans le film ne sont pas ceux du casting réel d’ailleurs), le méli-mélo entre fausse / vraie fiction et vrai / faux plateau de tournage, lui-même géré par une IA impersonnelle au possible, ou encore le discours décousu entre fiction et réalité de Louis Garrel à la fin. Enfin, le fait que le public s’interroge sur ce genre de sujets après avoir vu le film, et bien je trouve pour le coup l’exercice particulièrement réussi !

Rien à voir, mais alors, pourquoi des rails ? Effectivement, si j’avais fait à ce sujet une petite blague à plusieurs niveaux de lecture sur Twitter (* smiley filou), je n’ai pas encore parlé ici des rails du Deuxième Acte, une entité à part entière qui monopolise à elle seule le générique de fin, et même en réalité une partie de la construction du film puisqu’elle « suit » ses quatre plans séquences fondateurs. Eh bien, que voulez-vous, c’est aussi bien un symbole de la linéarité froide et austère des algorithmes de l’IA, que celui du flot de la vie, du temps qui passe tout simplement. On va tous d’un point A à un B, que l’on soit filmé, généré, célébré ou totalement ignoré.

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