Pour rester dans la thématique du point de vue narratif, récemment abordée via l’article sur The Walking Dead Saison 2, nous allons évoquer aujourd’hui le cas d’Oxenfree. Il s’agit du premier jeu développé par Night School Studio, avec une équipe composée notamment d’anciens de Telltale Games (derrière The Walking Dead, donc) et d’autres, de Disney. Deux références sur lesquelles nous est vendu Oxenfree : l’une sur le fond – la narration – et l’autre sur la forme – la direction artistique. On ne va pas s’étendre sur la patte graphique et sonore, on apprécie ou elle nous laisse indifférent, mais il faut admettre qu’une certaine identité se dégage du jeu. En revanche, nous allons analyser la manière dont l’histoire, assez cryptique pour le coup, est racontée au fil des quelques heures que dure le jeu.
Oxenfree est un jeu lent. Très lent. Chaque déplacement entre deux points semble interminable. C’est évidemment voulu par le narrative design du titre, car ce n’est pas tant le mouvement qui est intéressant, mais ce qu’il se raconte pendant cette phase. En effet, les personnages, peu nombreux, possèdent une verve à toute épreuve. Ils parlent tout le temps ! Et, petite précision, avec un débit assez rebutant pour le non anglophone. Cinq adolescents se retrouvent donc sur une île désertée par les touristes, et discutent de tout et de rien (surtout de trucs d’ado, en fait) pendant des heures. L’histoire est plus intéressante que cela, heureusement, mais au final, ça parle tout de même beaucoup pour rien, ou du moins pour combler ces déplacements d’une lenteur indécente.
Le joueur est placé dans la peau d’Alex, quant à elle plus taciturne que ses comparses. Pour participer aux conversations, une liste de choix s’affiche régulièrement, qui permet soit de relancer un nouveau sujet, soit de poser une question, soit, tout simplement, de se taire pour ne rien ajouter aux propos des autres. Le choix est donc laissé au joueur, qui doit décider rapidement, et en temps réel, comment orienter les différents échanges au cours de la partie. Le point de vue narratif parait donc assez classique, et par conséquent efficace.
Cependant, Oxenfree apporte quelques surprises vis-à-vis d’autres titres du même genre, qui placent souvent en retrait l’avatar du joueur par rapport à l’écriture des autres personnages et des situations, en le rendant lambda, voire amnésique, ou expliquant en amont certains traits de son caractère ou de son passé, via une séquence d’introduction explicite ou, pour rester dans l’exemple cité en introduction, en jouant à la première saison de The Walking Dead. Ici, le récit de la vie d’Alex se fait au travers des choix présentés au joueur. Le concept a l’air simple, dit comme ça, mais en réalité il se montre vraiment perturbant. En effet, le jeu est construit de manière à se perdre dans les flots de paroles des uns et des autres, où l’on intervient souvent pour balancer d’autres banalités, et ce jusqu’au moment où l’on peut évoquer un évènement d’une importance capitale dans le vécu d’Alex. Ce choix, présenté de la même manière que les autres, surgit sans prévenir au milieu de ce brouhaha presque narcotique. Estomaqué, le joueur prend alors connaissance de cet élément clé du récit, et peut d’ailleurs décider de sélectionner un autre choix, afin de parler de tout autre chose.
A plusieurs moments, nous retrouvons ce genre de révélations, énoncées par ce personnage inconnu que l’on contrôle. Voici un concept narratif perturbant, presque expérimental, qui peut être à double tranchant. Effectivement, difficile de s’immerger dans un tel jeu, et encore plus de s’identifier à ce protagoniste que l’on incarne, tant il a des secrets à nous faire part. D’autant plus que seul le joueur ne connait pas le passé d’Alex, car elle est entourée d’autres personnages qui la connaisse depuis son enfance. On pourrait presque parler de narration qui prend plaisir à exclure le joueur du groupe qu’elle met en scène. Quel culot !
Une réponse à “Oxenfree – du laïus endiablé au narrative design”
[…] Certains titres ont déjà été abordés sur chroniques-ludiques.fr, comme le récent Oxenfree ou Gone Home, qui, rappelons-le, avait démocratisé le genre en 2013. Et si vous n’êtes pas […]